Qui est Marguerite d’Aragon ?
Publié le 29/03/2023De Loïck PORTELLI
Introduction
Il n’est pas impossible pour un généalogiste ayant des ancêtres à Malte de trouver quelques aïeux ayant eu des titres de noblesse. L’affaire se corse lorsque l’on ambitionne de prouver sa filiation avec une famille royale, même si certains sites internet consacrés à la généalogie maltaise garantissent aux plus crédules des parentés qui feraient pâlir un Windsor.
L’un des rares moyens de pouvoir lier son arbre généalogique maltais à une famille royale est de descendre d’une certaine Marguerite d’Aragon qui a vécu à Malte au XIVe siècle. Ladite Marguerite ayant eu trois filles, la chose est du domaine du possible. Cette première difficulté résolue, la seconde consiste à retrouver les ancêtres de Marguerite. Voyons quels outils sont à notre disposition.
Ce que disent les historiens.
L’ascendance de Marguerite est mystérieuse. Le premier à se pencher sur la question est le commandeur Giovanni Francesco Abela, historien de l’ordre de Malte, en 1647. Il émet deux hypothèses : Marguerite est soit la fille de Guillaume d’Aragon, comte de Malte et fils naturel du roi Frédéric III (figliuole del Conte Guglielmo d'Aragona, figliuol naturale del Re Federico Terzo), soit la fille d’un enfant illégitime du roi Frédéric II (discendenti da’ figliuoli illegitimamente nati del Re Federico Secondo di Sicilia).[1]
Faire le bon choix n’est pas chose aisée : Tout d’abord les deux rois se prénomment Frédéric, ensuite ils ont utilisé alternativement la numérotation royale ou impériale (Frédéric II se faisant souvent appeler Frédéric III en référence à son ancêtre l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen). Enfin, ils ont tous deux un fils nommé Guillaume[2] qui a été comte de Malte.
Dans plusieurs ouvrages dont celui du marquis Cassar-Desain en 1876, A Short Sketch of the Maltese Nobility[3], le choix porte souvent sur l’hypothèse Frédéric III. Replongeons-nous dans les maigres indices dont nous disposons pour tenter d’y voir plus clair…
Arbre généalogique simplifié de la Maison d’Aragon, souverains de Sicile.
Actes de la chancellerie royale de Palerme
Les premiers documents faisant état de l’existence de Marguerite d’Aragon sont datés de 1372. Nous sommes alors en plein dans « l’affaire Pellegrino »[4], du nom du (trop) puissant époux de Marguerite, qui vient d’être exilé par le roi Frédéric III de Sicile (1341-1377). Giacomo Pellegrino était en effet devenu le véritable maître de Malte, gouvernant l’archipel de manière quasi-autonome. Ce mépris du pouvoir royal a été le déclencheur d’une intervention militaire dudit roi qui débarque à Malte avec le concours de la flotte génoise et fait le siège du fort Saint-Ange et de la capitale Mdina pendant deux mois. Giacomo est finalement exilé et ses biens sont saisis, faisant ainsi tomber sa famille dans un soudain dénuement.
C’est dans ce contexte que l’on remarque que lorsque le roi regagne Messine, il est accompagné par la femme de Giacomo Pellegrino[5]. Fait encore plus curieux, Le premier acte officiel du roi une fois de retour en Sicile le 20 novembre 1372 est de lui accorder une rente annuelle pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille (« Pro nobile Margarita uxore Jacobo de Peregrino militis […] Ad humilem supplicationem noviter Culmini nostro factam per Margaritam mulierem uxorem Jacobi de Peregrino militis consanguineam fidelem nostram … »).[6] Le document est d’importance car il nous révèle l’appartenance de Margarita à la noblesse et sa parenté royale (« notre parente fidèle »).
Le second acte pris en faveur de Marguerite, daté du 11 octobre 1373, nous apprend que suite à son intervention en faveur de son mari ce dernier bénéficie du pardon royal. Il révèle également l’identité de Marguerite : « nobilem Margaritam de Aragonia consorte Jacobj de Peregino militis consanguineam familiarem et fidelem nostram ».
Le testament de Marguerite
En juin 1418 Marguerite établit son testament auprès du notaire Antonio de Azzopardo : « Moi, Dame Margarita, veuve du Magnifico seigneur Giacomo de Peregrino, couchée dans ma maison, malade de corps mais saine d'esprit […], craignant un jugement divin soudain, de peur de peut-être finir ma vie en silence, sans testament… ». Son contenu nous révèle qu’elle est la mère de trois filles et grand-mère de six petits-enfants dont l’un est marié.
Descendance de Marguerite d’Aragon
Que conclure ?
L’étude des dates en notre possession ajoute des informations à nos deux hypothèses.
Concernant l’hypothèse la supposant petite-fille du roi Frédéric II (1272-1337) et la fille de Guillaume II d’Athènes (1312-1338), cela signifie qu’elle est âgée d’environ 80 ans à sa mort (1418).
Concernant l’hypothèse la plus répandue la supposant petite-fille du roi Frédéric III (1341-1377) et la fille de son fils naturel Guillaume d’Aragon (dates inconnues), cela signifie que lorsque le roi vient à Malte en 1372 pour en chasser son mari, il est âgé de 31 ans. Peut-il être le grand-père d’une femme mariée et déjà mère à cet âge-là ? Cela semble difficilement concevable.
- Abela, G.F. Della Descrittione di Malta, Isola nel Mare Siciliano con le sue Antichità, ed altre Notizie, Malte 1647, p. 449.
- Pour le fils illégitime de Frédéric III voir Zurita, Jerónimo. Anales de la Corona de Aragón, lib. X, 1578, p. 323 ; Fodale, Salvatore. « FEDERICO IV d'Aragona, re di Sicilia, detto il Semplice » in Dizionario Biografico degli Italiani - Volume 45, 1995 ; Fiorini, S. Documentary Sources Of Maltese History Part II Documents In The State Archives, Palermo No. 1 Cancelleria Regia: 1259-1400, 1999, pp. 143 et 154.
- Cassar-Desain, A Short Sketch of the Maltese Nobility, 1876, p.6.
- Voir Portelli, L. Histoire de l’île Malte, Editions du Menhir, 2021, p. 19.
- Bresc, H. « Documents on Frederick IV of Sicily’s intervention in Malta, 1371 », Papers of the British School at Rome, 41 (1973), p. 183.
- Fiorini, S. Documentary Sources Of Maltese History Part II Documents In The State Archives, Palermo No. 1 Cancelleria Regia: 1259-1400, 1999, p. 60.
Publié avec l’aimable autorisation de Loïck PORTELLI
- Maltese surnames, Joëlle Pawelczyk
- Aspects of maltese surnames, Mario CASSAR
- Weddings in Malta in the eighteenth century, Aurore Verié
- Le sultan Djem et sa prétendue descendance maltaise, de Nicolas VELIN
- Le légendaire Eugène Matteo d'Armenia, de Loïck PORTELLI
- Jacques et Marguerite de Pellegrino, de Loïck PORTELLI
- Headquarters Gozo in 1551 and repopulation of the island (excerpts), Stanley Fiorini
- Marriage in Malta in the late eighteenth century (excerpts), Frans CIAPPARA
- The three CUMBO brothers, by Georges GANDER and Nicolas VELIN
- Nicola SOLTANA, the founder, by Nicolas VELIN
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- Les Racines Maltaises de Gérald DARMANIN